L'eau forte et le burin

2e état
Bibliothèque nationale de France
L'Artiste dessinant d'après le modèle
2e état
Le fond est travaillé à nouveau et assombri. La structure - voûte, pilier, socle - est moins distincte qu'au 1er état. Le haut du chevalet et la draperie du modèle ont été ombrés par des tailles croisées. La presse posée à droite, devant l'angle inférieur du chevalet, est recouverte de tailles obliques. Le bord du chevalet et le pied sont bien délimités. Un pot est placé sous le petit banc sur lequel est juché le modèle. L'épreuve présente des marques de dépolissures de la plaque, nettement visibles sur la toile du chevalet.
L'artiste s'est représenté assis, environné d'objets insolites, bouclier, épée, bonnet à plumes, carafe, dessinant d'après le modèle dans son atelier, thème fréquent au 17e siècle. Devant lui, une figure féminine vue de dos par le spectateur tient de la main droite une longue palme qui traverse la feuille de bas en haut, et de la main gauche une draperie. De part et d'autre une chaise est esquissée. Au second plan, un chevalet, et un buste de statue sur un socle en partie recouvert d'une draperie orientale, se détachent sur une structure murale composée d'une voûte et d'un pilier, à l'arrière-plan.
Le contraste est saisissant entre le fond terminé où les effets de clair-obscur accrochent les reflets lumineux sur les différents objets et la partie inférieure de l'estampe laissée à l'état d'esquisse, proche d'un dessin au trait sur papier blanc. C'est ainsi que la palme apparaît en blanc sur noir dans le fond obscur et en noir sur blanc dans le bas de l'œuvre. Cette estampe jugée inachevée par plusieurs historiens a donné lieu à bien des commentaires sur la manière de procéder du Maître, et sur les raisons qui l'ont incité à cesser son travail. Il semble que Rembrandt ait esquissé sa composition au trait, apporté des corrections (jambes de la figure allongées, escabelle rabaissée), gravé avec précision le fond et imprimé des épreuves de ce 1er état. Il aurait ensuite modifié quelque peu le fond, le chevalet, la presse, sans travailler la partie inférieure de l'estampe, et imprimé à nouveau sa plaque. L'estampe n'a jamais été achevée ; la plaque de cuivre conservée en témoigne. Est-ce l'insatisfaction qui fut la cause de l'abandon de la plaque ou le décès de l'artiste après une interruption momentanée de ce travail, comme certains l'ont supposé, la datation de l'œuvre, incertaine, variant selon l'analyse stylistique des historiens ? Ce peut être aussi la volonté de Rembrandt. Celui-ci aurait souhaité, dans ce cas, traiter l'allégorie du dessin ou la naissance de la création ou l'élaboration d'une estampe, d'une peinture. La presse pour l'une, le chevalet pour l'autre en constitueraient les étapes ultérieures. Il afficherait ainsi sa position vis-à-vis du dessin, identique à celle des artistes de la Renaissance qui le qualifiaient de « Père de nos trois arts » et adopterait la pratique de l'étude du modèle. La gravure serait alors achevée.
Singulièrement, Rembrandt, qui se représente dessinant d'après un modèle réel, s'inspire étroitement pour la figure féminine d'un nu d'une gravure italienne de Jacopo de Barbari, La Victoire et la Renommée. Pose, visage de profil, palme, draperie, évoquent de très près cette estampe. Ce même nu avait inspiré P. van Harlingen dans une gravure intitulée Pygmalion (H. 21, Fig. 10), thème tiré des Métamorphoses d'Ovide (X, p. 231-232) qui pourrait aussi avoir quelque rapport avec l'estampe de Rembrandt. Mais alors que le sculpteur antique Pygmalion, amoureux de la statue d'ivoire qu'il avait créée, la contemple, Rembrandt, lui, attentif et concentré, est en pleine activité créatrice. L'estampe fut interprétée comme une représentation de Pygmalion jusqu'à la fin du 13e siècle ou comme l'artiste dessinant d'après le modèle. C'est ainsi qu'en 1751 Gersaint écrit : « Dessinateur d'après le modèle. Un sujet qui n'est point achevé. ». Au 20e siècle, F. Saxl a soutenu cette interprétation et J. A. Emmens y a vu une allégorie, un hommage à l'art du dessin.
Un autre sujet a été débattu à propos d'un dessin conservé au British Museum. White et Boon évoquent un dessin préparatoire à la gravure. Or, l'étude attentive de l'œuvre révèle que le dessin n'est pas repassé à la pointe pour être transféré sur le cuivre comme le sont tous les autres dessins préparatoires de Rembrandt. Martin Royalton-Kisch croit plutôt à un dessin intermédiaire réalisé après le 2e état, d'après une contre-épreuve de celui-ci. Il en existe au moins deux et aucune n'a été imprimée d'après le 1er état. Rembrandt aurait alors songé à poursuivre son travail. Un processus semblable se constate pour La Grande Mariée juive, mais dans cet exemple Rembrandt a poursuivi son travail, alors qu'ici il a imprimé sa gravure sans « l'achever », ou encore a considéré qu'elle était terminée. La diffusion de l'estampe témoigne non seulement de la volonté de Rembrandt qui affirmait qu'« une œuvre est achevée quand un artiste a dit ce qu'il avait à dire », mais aussi de l'intérêt des amateurs pour ce sujet ambigu.
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Dessins préparatoires
Il est tentant d’imaginer Rembrandt dans son atelier, au travail, tel qu’il s’est représenté, dessinant d’après le modèle ou près d'une fenêtre, le visage concentré, un bloc de feuilles devant lui, à l’instant même où, regardant le motif, il est sur le point de commencer une œuvre. Le corpus de ses dessins est considérable ; cependant seuls vingt-sept dessins préparatoires à des gravures sont conservés. Quelques-uns présentent un coutour repassé à la pointe pour le transfert sur le cuivre verni. D’autres, des études très libres, constituent une première approche pour certaines estampes. D’autres enfin se présentent comme des dessins intermédiaires entre deux états, réflexion avant la poursuite du travail. Parfois c’est directement sur un état que l’artiste fait des retouches à l'encre ou à la pierre noire avant d’entreprendre l’état suivant. Il pratiquait avec passion l’art du dessin, et son entraînement lui permettait sans doute de dessiner directement sur le cuivre verni. Il est possible qu’il ait emporté des plaques vernies lors de ses promenades dans la campagne et qu’il ait gravé directement sur le motif. La grande liberté d’exécution de plusieurs paysages ensoleillés permet de l’envisager.
L'attrait de l'eau forte
À vingt ans, lorsqu’il s’essaie à l’eau-forte, il a sans doute accompli lui-même les nombreuses opérations nécessaires. On le devine impatient lorsqu’il prend un cuivre, le ponce, le polit et, négligeant les bords irréguliers qu’il faudrait biseauter, quelques légères rayures, parfois même quelque esquisse d’une composition abandonnée, il le nettoie, le dégraisse puis le lave. Il le pose sur une plaque chauffante et passe un bâtonnet de vernis qui fond lentement à la surface de la plaque. Il étale le vernis avec un tampon en fine couche, parfois un peu trop vite, indifférent à l’irrégularité de la pose. Toutes ces négligences, souvent volontaires, apparaîtront à l’impression, sur l’épreuve : petits points, petites taches, accident de morsure, lignes horizontales ou verticales ténues sur un espace vierge. Souvent elles joueront leur rôle, animant un ciel trop vide, un terrain trop plat.

Saint Jérôme lisant dans un paysage italien
1er état
Rembrandt a représenté le dernier saint Jérôme de son œuvre gravé dans un paysage inspiré des gravures du 16e siècle vénitien.
Il a réalisé un dessin préparatoire daté, d'après le style, des environs de 1650 (Kunsthalle, Hambourg), à la plume, au tracé net et vigoureux. Il fixe d'un trait assuré et spontané l'essentiel de la composition. Quelques différences apparaissent dans l'estampe et concernent notamment la position de l'arbre et la répartition de l'ombre et de la lumière.
Saint Jérôme, absorbé par la lecture de la Bible, est nonchalamment assis à même le sol sur un relief de roche, dans un paysage ensoleillé. Un appentis fixé à un arbre lui procure un peu d'ombre. Un chapeau de paille a remplacé son chapeau de cardinal et seul son fidèle lion qu'il avait guéri en lui retirant une épine de la patte permet de l'identifier. On distingue sur le tronc coupé la colombe du Saint-Esprit, inspiratrice de Jérôme traducteur de la Bible. La composition s'organise de part et d'autre d'une diagonale d'ombre formée par l'arbre et le bord du torrent qui sépare deux parties lumineuses, le bas d'une colline où le saint s'est installé et le haut où se dressent une église romane et quelques constructions. Le lion aux aguets crée le lien entre ces espaces et forme la boucle de l'arabesque qui du saint se prolonge par le chemin montant jusqu'au sommet de la colline. La tunique de lumière, esquissée par quelques tailles légères, discontinues, vibrantes, donne au corps un aspect immatériel, éthéré, parmi les profonds accents de pointe sèche qui rythment l'ensemble. Les sandales du saint sont tombées de ses pieds ; ce détail aurait une signification symbolique, la préparation à la rencontre du divin.
Plusieurs manières de Rembrandt peuvent s'apprécier dans cette estampe, de l'esquisse au fini le plus élaboré. Le modelé du lion est une prouesse technique. Presque aucun contour ne cerne l'animal ; seules des tailles parallèles et des contretailles régulières d'eau-forte, des enroulements souples de pointe sèche et quelques blancs suffisent à lui donner forme et relief et à suggérer la tension musculaire qui l'anime. Par les effets du papier japon au ton jaune clair du premier état et du papier blanc du second, il semble que la luminosité douce et dorée d'un soleil voilé fasse place à l'éclat d'un soleil plus vif dans un ciel dégagé.
Certains historiens ont vu dans cette estampe une œuvre inachevée. Cependant son tirage élevé dès le 1er état témoigne du goût du public dans les années 1650 pour ces œuvres au graphisme varié. Bien plus tard, dans la deuxième moitié du 19e siècle, ces estampes plairont aussi beaucoup.
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1er état |
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À ce stade, il dessine à l’aide d’une pointe plus ou moins fine, éraillant, égratignant la couche protectrice de vernis, dénudant le cuivre à l’endroit du tracé qui sera creusé par le mordant. Les hachures plus ou moins serrées, plus ou moins fines, croisées, surcroisées, les entretailles, les piquages, les espaces vierges, contribueront à créer le contour, le modelé, les ombres et les lumières. Il plonge ensuite sa plaque dans un bain d’acide nitrique plus ou moins étendu d’eau, l’eau-forte, qui va attaquer le métal là où il est à nu. Il contrôle la durée de la morsure, anticipant le résultat sur l’épreuve. Pour obtenir des valeurs différentes, il recouvre les parties suffisamment exposées à l’acide pour les protéger, puis fait mordre à nouveau les autres. Il renouvelle cette opération plusieurs fois, selon la profondeur des tailles qu’il souhaite. Il dévernit le cuivre, tiédit la plaque sur un réchaud et l’encre au tampon. Il essuie sa plaque avec de la tarlatane chiffonnée et effectue le dernier essuyage à la main pour enlever les ultimes traces d’encre. Il peut songer à l’impression.

Saint François sous un arbre priant
1er état
Esquisse à la pointe sèche, avec une partie inachevée. L'une des cinq épreuves connues du 1er état.
Épreuve sur papier indien avec un effet d'encrage sur la partie gauche. Une empreinte digitale, probablement celle de l'artiste, est visible en haut à droite. Il est possible qu'il ait tenu sa plaque fraîchement encrée avant l'impression.
C'est la dernière représentation par Rembrandt d'un saint dans un paysage. Gersaint fut le premier en 1751 à identifier saint François d'Assise, né en 1182, fondateur de l'ordre des Franciscains, dont l'iconographie prolifique est cependant rare en Hollande. Dans les inventaires précédents, l'estampe était signalée sous le nom de Saint Jérôme. En effet, l'artiste ne s'est pas conformé entièrement à l'iconographie traditionnelle du saint. Seul le paysage semble y correspondre. Saint François s'était retiré en 1225 sur le mont d'Alverne en Toscane pour y faire retraite, accompagné de frère Léon qui fut témoin de la scène de la vision. Le jour de l'Exaltation de la Sainte Croix, le Christ crucifié apparut à saint François sous l'apparence d'un petit séraphin, et des rayons lumineux imprimèrent dans son corps les stigmates de la passion du Christ. Le comte Catanio fit bâtir pour lui un monastère : il semble que Rembrandt ait souhaité figurer ici ce site. Cependant la scène représentée précède la vision, thème habituellement traité par les artistes. Le saint, agenouillé, les mains jointes appuyées sur un livre - probablement la Bible -, prie devant un grand crucifix dressé dans l'ombre des feuillages, les yeux clos, dans un profond recueillement. Il est figuré sous l'aspect d'un vieillard avec une longue barbe, alors qu'il est mort à trente-huit ans. Mais saint François fut représenté barbu, puis imberbe à partir de Giotto, puis de nouveau barbu à partir de la Contre-Réforme.
Les deux états consacrés à la prière de saint François traduisent chez le saint un bouleversement mystique auquel correspond le paysage d'ombre et de lumière. Dans le 1er état, l'impression de mystère qui environne le Christ est créée par le noir intense, velouté, envoûtant, des profondes tailles de pointe sèche sur le papier indien au ton chaud. Elle est accentuée par la clarté inondant la partie droite où saint François prie. L'impression d'éblouissement est rendue par le graphisme esquissé et discontinu des feuillages et de frère Léon. Celui-ci, agenouillé sous son abri de chaume, n'a d'ailleurs pas toujours été identifié par les historiens tant la sensation d'aveuglement est présente.
Au 2e état, la plaque retravaillée à l'eau-forte est terminée et l'atmosphère transformée. Une tension dramatique remplace la spiritualité qui baignait la scène. L'ombre dense entoure le saint dont le visage remodelé et tourné vers la gauche ne reflète plus un paisible recueillement mais une violente émotion. La tonalité plus argentée du 2e état sur le papier européen unifie la composition.
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1er état
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Saint François sous un arbre priant
2e état
L'estampe a été terminée à l'eau-forte. Un paysage occupe la partie droite. Les espaces lumineux derrière le saint et entre les branches d'arbres sont ombrés. Les plantes au premier plan à gauche sont dessinées à nouveau et de nombreux travaux sont ajoutés sur le tronc de l'arbre et sur son feuillage. Le visage du saint est modifié et tourné de trois quarts à gauche, les yeux ouverts. Une seconde signature datée, entourée, épaisse, à la pointe sèche, se superpose à la première.
C'est la dernière représentation par Rembrandt d'un saint dans un paysage. Gersaint fut le premier en 1751 à identifier saint François d'Assise, né en 1182, fondateur de l'ordre des Franciscains, dont l'iconographie prolifique est cependant rare en Hollande. Dans les inventaires précédents, l'estampe était signalée sous le nom de Saint Jérôme. En effet, l'artiste ne s'est pas conformé entièrement à l'iconographie traditionnelle du saint. Seul le paysage semble y correspondre. Saint François s'était retiré en 1225 sur le mont d'Alverne en Toscane pour y faire retraite, accompagné de frère Léon qui fut témoin de la scène de la vision. Le jour de l'Exaltation de la Sainte Croix, le Christ crucifié apparut à saint François sous l'apparence d'un petit séraphin, et des rayons lumineux imprimèrent dans son corps les stigmates de la passion du Christ. Le comte Catanio fit bâtir pour lui un monastère : il semble que Rembrandt ait souhaité figurer ici ce site. Cependant la scène représentée précède la vision, thème habituellement traité par les artistes. Le saint, agenouillé, les mains jointes appuyées sur un livre - probablement la Bible -, prie devant un grand crucifix dressé dans l'ombre des feuillages, les yeux clos, dans un profond recueillement. Il est figuré sous l'aspect d'un vieillard avec une longue barbe, alors qu'il est mort à trente-huit ans. Mais saint François fut représenté barbu, puis imberbe à partir de Giotto, puis de nouveau barbu à partir de la Contre-Réforme.
Les deux états consacrés à la prière de saint François traduisent chez le saint un bouleversement mystique auquel correspond le paysage d'ombre et de lumière. Dans le 1er état, l'impression de mystère qui environne le Christ est créée par le noir intense, velouté, envoûtant, des profondes tailles de pointe sèche sur le papier indien au ton chaud. Elle est accentuée par la clarté inondant la partie droite où saint François prie. L'impression d'éblouissement est rendue par le graphisme esquissé et discontinu des feuillages et de frère Léon. Celui-ci, agenouillé sous son abri de chaume, n'a d'ailleurs pas toujours été identifié par les historiens tant la sensation d'aveuglement est présente.
Au 2e état, la plaque retravaillée à l'eau-forte est terminée et l'atmosphère transformée. Une tension dramatique remplace la spiritualité qui baignait la scène. L'ombre dense entoure le saint dont le visage remodelé et tourné vers la gauche ne reflète plus un paisible recueillement mais une violente émotion. La tonalité plus argentée du 2e état sur le papier européen unifie la composition.
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2e état |
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L'impression
Il dispose de différents supports : le papier européen vergé au grain varié qu’il teinte parfois ; le papier cartouche, brun, épais ; les coûteux papiers orientaux, chine ou japon aux tons chauds, chamois, ivoire, nacré, à l’aspect soyeux, qui offriront un rendu plus pictural, plus nuancé, révélant les tailles les plus subtiles ; le papier dit indien au ton ocre, aux fibres apparentes, le vélin et le parchemin qui donneront des impressions aux effets de lavis.
Il humidifie le support choisi afin que celui-ci pénètre dans les plus fines tailles. Il l’étend sur la plaque posée sur une des deux presses qu’il possède, l’une en bois de chêne et l’autre en bois des îles, et il y dépose un lange de laine pour égaliser le foulage et éviter que les bords du cuivre coupent le papier. Il actionne la presse. Le papier souple va chercher l’encre au fond des tailles. La plaque forme un foulage sur le support, la cuvette ou le coup de planche. Il regarde la première épreuve, inversée par rapport au tracé initial, et la met à sécher. Parfois, il passe l’épreuve fraîchement encrée sous la presse pour obtenir une contre-épreuve, l’épreuve jouant le rôle de la plaque. Cette faible impression dans le même sens que le tracé sur la plaque peut lui faciliter d’éventuelles corrections. Il poursuit son tirage en variant encrage, essuyage et support.

Le Sacrifice d'Abraham
État unique
La ligne qui indique le contour de l'aile gauche de l'ange a été effacée et dessinée à nouveau.
Le sacrifice d'Abraham préfigure pour les juifs la confiance absolue en la parole de Dieu, et pour les chrétiens le sacrifice du Christ en croix ou celui non sanglant de l'eucharistie. Il a connu une abondante iconographie. Rembrandt l'avait traité dans un tableau en 1636 d'une manière très théâtrale, tout à fait opposée à la délicatesse et à la sensibilité de la scène représentée dans l'estampe. Ici, les trois figures baignées par la fulgurante clarté oblique qui fend les nuages, liées par la simultanéité des gestes, réunies par les ailes encore frémissantes de l'ange, paraissent sculptées dans un seul bloc de lumière. L'intensité de l'action atteint son paroxysme. La vibration des ombres et des lumières, la profondeur suggérée par la courbure des ailes de l'ange repoussant l'obscurité des nuages donnent toute son ampleur à cette scène à la fois violente et pathétique. Isaac est consentant et Abraham, bouleversé, accablé, le serre tendrement contre lui. La force avec laquelle l'ange écarte les bras d'Abraham contraste avec la soumission des deux personnages. Dans un buisson, sous l'aile de l'ange à gauche, se distingue le bélier qui remplacera Isaac.
Rembrandt a traité à plusieurs reprises le thème de l'apparition en gravure : Abraham recevant les trois anges, L'Ange disparaît devant la famille de Tobie, L'Annonciation aux bergers, Les Pèlerins d'Emmaüs, Le Christ apparaissant aux apôtres ; à chaque fois il adapte sa manière à la manifestation d'un miracle.
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État unique |
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Le Sacrifice d'Abraham
Contre-épreuve
La contre-épreuve permet de voir la composition dans le sens du tracé original et de faire des corrections plus facilement. Ici, Abraham tient le poignard de la main droite. Le bélier se distingue plus nettement.
Le sacrifice d'Abraham préfigure pour les juifs la confiance absolue en la parole de Dieu, et pour les chrétiens le sacrifice du Christ en croix ou celui non sanglant de l'eucharistie. Il a connu une abondante iconographie. Rembrandt l'avait traité dans un tableau en 1636 d'une manière très théâtrale, tout à fait opposée à la délicatesse et à la sensibilité de la scène représentée dans l'estampe. Ici, les trois figures baignées par la fulgurante clarté oblique qui fend les nuages, liées par la simultanéité des gestes, réunies par les ailes encore frémissantes de l'ange, paraissent sculptées dans un seul bloc de lumière. L'intensité de l'action atteint son paroxysme. La vibration des ombres et des lumières, la profondeur suggérée par la courbure des ailes de l'ange repoussant l'obscurité des nuages donnent toute son ampleur à cette scène à la fois violente et pathétique. Isaac est consentant et Abraham, bouleversé, accablé, le serre tendrement contre lui. La force avec laquelle l'ange écarte les bras d'Abraham contraste avec la soumission des deux personnages. Dans un buisson, sous l'aile de l'ange à gauche, se distingue le bélier qui remplacera Isaac.
Rembrandt a traité à plusieurs reprises le thème de l'apparition en gravure : Abraham recevant les trois anges, L'Ange disparaît devant la famille de Tobie, L'Annonciation aux bergers, Les Pèlerins d'Emmaüs, Le Christ apparaissant aux apôtres ; à chaque fois il adapte sa manière à la manifestation d'un miracle.
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Contre-épreuve |
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Il arrive qu’il ne soit pas tout à fait satisfait du résultat de son travail ou qu’il envisage plusieurs états. Il corrige sa plaque à l’aide du brunissoir à la lame de forme ovale qui écrase des tailles maladroites ou trop abondantes. S’il souhaite éclaircir certains endroits pour obtenir des lumières, il reprend son brunissoir. La correction a été importante, le cuivre s’est déformé. Il frappe au marteau l’arrière de la partie à écraser pour repousser le métal à cet endroit. Il ajoute quelques vigoureuses tailles de burin, bien nettes, pour renforcer le graphisme. Il rehausse à la pointe sèche certains contours, certains espaces. Les barbes épaisses retiendront l’encre et donneront de beaux noirs veloutés. Il en ébarbe quelques-unes, trop prononcées pour l’effet qu’il désire obtenir, avec l’ébarboir. Il encre et imprime à nouveau. Il a obtenu un deuxième état. Le résultat lui convient, il va imprimer plusieurs épreuves. Son intervention au brunissoir a fait surgir de l’ombre dense des visages, des lueurs. Les tailles de pointe sèche ont adouci la sécheresse de l’obscurité et le burin a renforcé la structure de la composition. Le surnaturel, le visionnaire, se sont substitués à la technique – transmutation, alchimie de la gravure, poussée à son paroxysme…

Femme au bain
1er état
Avant que le bonnet ne soit baissé et arrondi en forme de turban au 2e état.
Impression sur japon comme la plupart des autres épreuves, avec un effet d'encrage sur tout le fond et sur les parties ombrées des bras et de la jambe droite.
Rembrandt grava trois nus en 1958. Celui-ci est intitulé La Concubine de Rembrandt dans l'inventaire de Jonghe en 1679, « Une des deux femmes nues posant » dans l'inventaire de Röver (mort en 1739), La Fiancée juive dans le catalogue de vente de A. de Burgy en 1755.
La femme au bain pose en atelier, assise sur une chaise, la tête tournée vers un chapeau d'homme posé à ses côtés. Le cercle lumineux à droite donne de la profondeur à l'espace, tout comme la signature de Rembrandt, cette fois encadrée. L'éclairage, bien que très artificiel, semble venir en diagonale du haut de l'estampe. Les tailles plus ou moins profondes et espacées modulent l'ombre et laissent filtrer la lumière. Leur direction est dans le même sens que la diagonale qui partage la composition et qui longe le bras tendu de la femme, la tête penchée de profil ainsi que l'orientation de son regard : ses yeux sont baissés vers l'ombre dense en bas à droite. Le papier japon offre une tonalité chaude, rayonnante. La pose naturelle, sans affectation, l'expression nostalgique, les détails imprécis, le geste inachevé en font l'un des nus les plus captivants et les plus mystérieux de Rembrandt.
Le même modèle l'inspira, semble-t-il, pour La Femme au poêle qui est à demi-dévêtue. Une épreuve conservée à Washington porte une inscription au verso, « vour't Chirurg », qui indiquerait que Rembrandt offrit la gravure à la guilde des chirurgiens en remerciement de l'autorisation de dessiner le nu.
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1er état |
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Ce bref aperçu de l’élaboration d’une estampe permet d’envisager les difficultés de cet art. Le tirage, quant à lui, exige aussi beaucoup de soin. De l’impression dépend en partie la beauté de l’épreuve. Les premières bénéficieront de la fraîcheur des tailles qui s’usent peu à peu, notamment celles de la pointe sèche dont les barbes s’écrasent après quelques passages sous presse. Le nombre d’exemplaires imprimés par Rembrandt est inconnu. Si l’on se réfère au nombre d’épreuves conservées dans les collections publiques, de celles qui passent sur le marché et de la disparition de certaines d’entre elles au cours des siècles, on peut évaluer le tirage d’une eau-forte à environ cent cinquante épreuves de qualité, tous états confondus, et à une vingtaine pour une pointe-sèche, sous toute réserve.