Manon Lescaut, du roman au mythe

Manon charme fatalement quiconque la croise, qu’elle soit habillée en courtisane ou vêtue de hardes. Le lecteur n’y échappe pas, même si d’elle, il sait seulement qu’elle a « l’air de l’Amour ». Personnage complexe, incarnant tour à tour la sincérité et la vénalité, Manon ne laisse pas d’étonner. 

« Manon était passionnée par le plaisir ; je l’étais pour elle. » avoue des Grieux. Cette équation l’entraîne à jouer et tricher pour entretenir Manon. Les deux personnages sont présentés comme les victimes de la société de la Régence, où parties fines et jeux d’argent étaient monnaie courante. 

Manon Lescaut relate un épisode historique peu connu, celui des déportations de femmes en Louisiane pour œuvrer au peuplement. Celles-ci sont des prostituées repêchées par la police ou des femmes bannies par leur famille ou des personnages influents, comme Manon, dénoncée par le père de des Grieux. 

« Le public verra dans la conduite de M. des Grieux un exemple terrible de la force des passions » lit-on au début de l’ouvrage, et pourtant le roman, jugé immoral, est frappé par la censure lors de sa publication. Davantage que la Providence, c’est une impitoyable Roue de la Fortune qui semble présider aux destins des personnages, les menant aux pires bassesses (prostitution, tricherie, vol, meurtre…) sans espoir de rédemption. Il faudra attendre les années 1840 pour qu'en plein épanouissement du romantisme, l’œuvre soit alors perçue comme révolutionnaire et libératrice.

La richesse dramatique du roman le porte tout naturellement à la scène, mais c’est Manon que l’on retient, c’est elle l’héroïne des adaptations à l’Opéra — Massenet et Puccini à la fin du 19^e siècle — et des ballets — Kenneth Macmillan à la fin du ^20e. Tour à tour innocente et perverse, elle continue de fasciner.