Le Horla

Bibliothèque nationale de France
Couverture d’une édition de 1908 du Horla
Le Horla, conte fantastique de Maupassant (1887), donne à lire la confession du narrateur, dont la vie est troublée par des micro-événements inattendus et inexplicables, une carafe d’eau vide au matin alors qu’elle était pleine la veille, une rose cueillie par une main invisible… Le narrateur croit être possédé par un esprit malfaisant, qu’il nomme le Horla.
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Un recueil pour inspirer l’effroi
Je suis certain, maintenant, certain comme de l’alternance des jours et des nuits, qu’il existe près de moi un être invisible.
Le Horla est l’histoire d’une possession. Un être invisible vampirise le narrateur anonyme qui tient un journal, relatant les progrès du mal qui le touche. Mais d’où vient ce nom « Horla » ? Certains pensent qu’il vient du russe oriol, « aigle » ; d’autres qu’il est construit sur le modèle de horsain ou qu’il signifie hors là.

Première page du manuscrit autographe du Horla
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Dernière page du manuscrit autographe du Horla
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La nouvelle est une réécriture de deux récits précédents : « Lettre d’un fou » (1885) et « Le Horla », première version de 1886. Elle est située en tête de treize autres nouvelles réalistes et fantastiques, qui connurent une prépublication dans la presse de 1885 à 1887 avant d’être recueillies sous le titre Le Horla chez Ollendorff en 1887 : « Amour » (1886), « Le Trou » (1886), « Sauvée » (1885), « Clochette » (1886), « Le Marquis de Fumerol » (1886), « Le Signe » (1886), « Le Diable » (1886), « Les Rois » (1887), « Au bois » (1886), « Une famille » (1886), « Joseph » (1885), « L’Auberge » (1886) et « Le Vagabond » (1887).
Le journal d’un fou
Qu’ai-je donc ? C’est lui, lui, le Horla, qui me hante, qui me fait penser ces folies ! Il est en moi, il devient mon âme ; je le tuerai !
Prenant la forme d’un journal intime, Le Horla (1887) s’étale sur quatre mois, du 8 mai au 10 septembre, durant lesquels le diariste décrit et analyse l’avancée du mal mystérieux qui le gagne. Vivant près de Rouen, il est atteint d’une maladie indéfinissable qui tient de la langueur et de la dépression après avoir vu passer sur la Seine un trois-mâts brésilien. L’inachèvement du récit, marqué par les points de suspension, semble indiquer que l’auteur du journal a sombré dans la folie ou s’est suicidé comme il en avait eu l’intention.
Les circonstances de l’internement de Maupassant amenèrent journalistes et médecins à assimiler l’œuvre à la vie de l’auteur. Selon un aliéniste interrogé en 1892, « on n’a qu’à lire Le Horla, ce conte fantastique d’une évocation si intense, pour découvrir le germe de la folie chez l’auteur ». Divers savants ont cru que ce qui n’était que pure fiction littéraire représentait un outil fiable permettant l’analyse d’un cas pathologique réel. Ils forgèrent ainsi une légende de plus autour de l’auteur et de son œuvre. Car c'est au contraire un écrivain en pleine possession de ses moyens qui invente un récit fantastique majeur de l’histoire de la littérature française.

La rose s’envole
Le Horla, conte fantastique de Maupassant (1887), donne à lire la confession du narrateur, dont la vie est troublée par des micro-événements inattendus et inexplicables, comme cette rose qui se coupe toute seule et s’envole.
« 6 août. — Cette fois, je ne suis pas fou. J’ai vu… j’ai vu… j’ai vu !… Je ne puis plus douter… j’ai vu !… J’ai encore froid jusque dans les ongles… j’ai encore peur jusque dans les moelles… j’ai vu !…
Je me promenais à deux heures, en plein soleil, dans mon parterre de rosiers… dans l’allée des rosiers d’automne qui commencent à fleurir.
Comme je m’arrêtais à regarder un géant des batailles, qui portait trois fleurs magnifiques, je vis, je vis distinctement, tout près de moi, la tige d’une de ces roses se plier, comme si une main invisible l’eût tordue, puis se casser, comme si cette main l’eût cueillie ! Puis la fleur s’éleva, suivant la courbe qu’aurait décrite un bras en la portant vers une bouche, et elle resta suspendue dans l’air transparent, toute seule, immobile, effrayante tache rouge à trois pas de mes yeux.
Éperdu, je me jetai sur elle pour la saisir ! Je ne trouvai rien ; elle avait disparu. Alors je fus pris d’une colère furieuse contre moi-même ; car il n’est pas permis à un homme raisonnable et sérieux d’avoir de pareilles hallucinations.
Mais était-ce bien une hallucination ? Je me retournai pour chercher la tige, et je la retrouvai immédiatement sur l’arbuste, fraîchement brisée, entre les deux autres roses demeurées à la branche.
Alors, je rentrai chez moi l’âme bouleversée ; car je suis certain, maintenant, certain comme de l’alternance des jours et des nuits, qu’il existe près de moi un être invisible, qui se nourrit de lait et d’eau, qui peut toucher aux choses, les prendre et les changer de place, doué par conséquent d’une nature matérielle, bien qu’imperceptible pour nos sens, et qui habite comme moi, sous mon toit… »
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La carafe vide
Le Horla, conte fantastique de Maupassant (1887), donne à lire la confession du narrateur, dont la vie est troublée par des micro-événements inattendus et inexplicables, comme cette carafe d’eau vide au matin alors qu’elle était pleine la veille.
« 5 juillet. — Ai-je perdu la raison ? Ce qui s’est passé, ce que j’ai vu la nuit dernière est tellement étrange, que ma tête s’égare quand j’y songe !
Comme je le fais maintenant chaque soir, j’avais fermé ma porte à clef ; puis, ayant soif, je bus un demi-verre d’eau, et je remarquai par hasard que ma carafe était pleine jusqu’au bouchon de cristal.
Je me couchai ensuite et je tombai dans un de mes sommeils épouvantables, dont je fus tiré au bout de deux heures environ par une secousse plus affreuse encore.
Figurez-vous un homme qui dort, qu’on assassine, et qui se réveille, avec un couteau dans le poumon, et qui râle couvert de sang, et qui ne peut plus respirer, et qui va mourir, et qui ne comprend pas — voilà.
Ayant enfin reconquis ma raison, j’eus soif de nouveau ; j’allumai une bougie et j’allai vers la table où était posée ma carafe. Je la soulevai en la penchant sur mon verre ; rien ne coula. — Elle était vide ! Elle était vide complètement ! D’abord, je n’y compris rien ; puis, tout à coup, je ressentis une émotion si terrible, que je dus m’asseoir, ou plutôt, que je tombai sur une chaise ! puis, je me redressai d’un saut pour regarder autour de moi ! puis je me rassis, éperdu d’étonnement et de peur, devant le cristal transparent ! Je le contemplais avec des yeux fixes, cherchant à deviner. Mes mains tremblaient ! On avait donc bu cette eau ? Qui ? Moi ? moi, sans doute ? Ce ne pouvait être que moi ? Alors, j’étais somnambule, je vivais, sans le savoir, de cette double vie mystérieuse qui fait douter s’il y a deux êtres en nous, ou si un être étranger, inconnaissable et invisible, anime, par moments, quand notre âme est engourdie, notre corps captif qui obéit à cet autre, comme à nous-mêmes, plus qu’à nous-mêmes.
Ah ! qui comprendra mon angoisse abominable ? Qui comprendra l’émotion d’un homme, sain d’esprit, bien éveillé, plein de raison et qui regarde épouvanté, à travers le verre d’une carafe, un peu d’eau disparue pendant qu’il a dormi ! Et je restai là jusqu’au jour, sans oser regagner mon lit.
6 juillet. — Je deviens fou. On a encore bu toute ma carafe cette nuit ; — ou plutôt, je l’ai bue !
Mais, est-ce moi ? Est-ce moi ? Qui serait-ce ? Qui ? Oh ! mon Dieu ! Je deviens fou ? Qui me sauvera ? »
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Fortune de l’œuvre
Le Horla fait partie des récits les plus adaptés au théâtre – notamment au Grand-Guignol – et au cinéma en raison de sa capacité à générer l’épouvante. On compte ainsi une multitude de mises en scène mais aussi une comédie musicale proche de l’opéra rock où les effets spéciaux modernes tentent de rivaliser avec les effets de style du conteur.
Provenance
Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).
Lien permanent
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