Le Rivage des Syrtes
Quand le souvenir me ramène - en soulevant pour un moment le voile de cauchemar qui monte pour moi du rougeoiement de ma patrie détruite - à cette veille où tant de choses ont tenu en suspens, la fascination s’exerce autour de l’étonnante, de l’enivrante vitesse mentale qui semblait à ce moment pour moi brûler les secondes et les minutes, et la conviction toujours singulière pour un moment m’est rendue que la grâce m’a été dispensée - ou plutôt sa caricature grimaçante - de pénétrer le secret des instants qui révèlent à eux-mêmes les grands inspirés. Encore aujourd’hui, lorsque je cherche dans ma détestable histoire, à défaut d’une justification que tout me refuse, au moins un prétexte à ennoblir un malheur exemplaire, l’idée m’effleure parfois que l’histoire d’un peuple est jalonné çà et là comme de pierres noires par quelques figures d’ombre, vouées à une exécration particulière moins pour un excès dans la perfidie ou la trahison que par la faculté que le recul du temps semble leur donner, au contraire, de se fondre jusqu’à faire corps avec le malheur public ou l’acte irréparable qu’ils ont, semble-t-il, au-delà de ce qu’il est donné d’ordinaire à l’homme, dans l’imagination de tous entièrement et pleinement assumé.
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