Le voyage d’Ulysse et ses interprétations

Ulysse et les Sirènes
Quand il réalise en 1974-1975 dans l’atelier parisien de Fernand Mourlot une grande suite lithographiée de l’Odyssée, ce n’est pas la première fois que Chagall aborde le monde d’Homère. Sur le thème d’Ulysse, il a en effet réalisé pour la faculté de droit de l’université de Nice une mosaïque inaugurée en 1969 et intitulée Le Message d’Ulysse.
Homère ne nous donne strictement aucun détail sur l’apparence physique des sirènes. Tout notre univers mental est en fait inspiré par les vases antiques, dont le célèbre stamnos à figures rouges du 5e siècle avant J.-C. attribué au Peintre de la Sirène (British Museum, E440). Chagall, qui n’ignore pas cette référence artistique, joue avec elle en mêlant les représentations de Sirènes-oiseaux et de Sirènes-poissons issues d’horizons chronologiques et géographiques différents.
© ADAGP, Paris, 2024
Dans l’Iliade, chaque jour est un jour nouveau pour les héros, qui n’envisagent pas le temps comme une projection dans l’avenir. L’Odyssée, en revanche, chante un retour et s’inscrit dans une temporalité précise. Ulysse apparaît comme le héros d’une épopée de l’absence, de la perte, du retour qui ne cesse d’être repoussé. Lors de la dernière étape de son voyage, chez Alcinoos le roi des Phéaciens, Ulysse a perdu tous ses compagnons, n’a plus rien. Il est devenu « Personne » comme il l’a annoncé, par ruse, au Cyclope. Ce n’est qu’en entendant sa propre histoire de la bouche d’un autre, l’aède Phéacien Démodocos, qu’il reconquiert pleinement son identité : il se trouve devant l’Ulysse passé, celui qui inventa la ruse du cheval de Troie, et peut ainsi mettre en perspective sa propre existence. Chaque épisode tracé sur la carte du voyage d’Ulysse construit un élément de réponse à cette question augurale qui est celle de la pensée grecque à son commencement. Ulysse est celui qui essaie de construire l’humain en cherchant ses limites, en réaffirmant sa continuité dans un projet de fidélité, de mémoire à lui-même et à ses origines, mémoire qui réside entièrement dans la langue. C’est dans le discours que se construit l’humain : en ce sens, l’Odyssée est bien un texte fondateur qui se prête à d’inépuisables relectures (ici Héraclite, Eustathe, Bérard).
Mots-clés
-
Lien permanent
ark:/12148/mmnrtzckqx4g