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Nostradamus, prophète et pacifiste

Michel Nostradamus, médecin
Michel Nostradamus, médecin

Bibliohèque d'Université Paris Cité / tLicence Ouverte Etalab

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Nostradamus, dès après sa mort, eut de nombreux imitateurs et interprètes. On lui a attribué la prédiction de très nombreux désastres, de l’assassinat de l’Amiral de Coligny en 1572 à la guerre de 1939-1945, durant laquelle, il est devenu « un phénomène mondial » permettant d’annoncer à l’adversaire sa défaite inéluctable. Rien ne semble mettre fin à l’effet fascinant de ses quatrains énigmatiques. Mais l’historien se doit de tenter de comprendre ce que signifiait dans son temps son écriture inspirée.

Un médecin astrologue

Médecin et humaniste

Portrait de Nostradamus
Portrait de Nostradamus |

Bibliothèque nationale de France

Michel de Nostredame, né le 14 décembre 1503 à Saint-Rémy de Provence, appartient à une famille de juifs provençaux convertis vers 1460 au christianisme. Après des études à Avignon, il prend en 1532, à l’université de Montpellier, le grade de docteur en médecine. Il pratique la médecine à Pont-Sainte-Marie, près d’Agen, puis à Bordeaux, Narbonne, Toulouse et Carcassonne. Il soigne les malades de la peste en 1544 à Marseille, en 1546 à Aix-en-Provence, puis à Lyon, avant de voyager en 1548-49 en Italie.

Humaniste initié au néo-platonisme et au grec, il réalise une traduction de l’Orus Apollo, grand texte hermétique de l’Antiquité présentant la nature comme un langage métaphorique que le sage doit mimer en s’exprimant énigmatiquement.

Confitures et déluges

Figure pour connaitre la roue des vingt-huit mentions du cycle solaire
Figure pour connaitre la roue des vingt-huit mentions du cycle solaire |

Bibliothèque nationale de France

En 1550, installé à Salon-de-Provence, Nostradamus publie sa première Pronostication, un calendrier de prédictions pour 1551, suivi chaque année par une pronostication ou un almanach s’appliquant à l’année suivante.

Les planètes sont traditionnellement censées exercer une influence, bénéfique ou maléfique, sur les différents organes du corps, et il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’un médecin pratique l’astrologie à cette époque. Après avoir composé en 1552 des traités portant sur la préparation des confitures et la composition des fards, il donne en 1555 à Lyon une première édition des Prophéties : 353 quatrains énigmatiques répartis en quatre « centuries ». Il relate ainsi avoir découvert qu'avant la conflagration universelle le monde sera victime de « tant de déluges et si hautes inondations, qu'il ne sera guère teroir qui ne soit couvert d'eau ». La dernière édition des Prophéties en 1568 rassemble 942 quatrains en dix centuries.

Recueil de recettes de fards, parfum et confitures composé par Nostradamus
Recueil de recettes de fards, parfum et confitures composé par Nostradamus |

Bibliothèque nationale de France

Prophéties de M. Michel Nostradamus
Prophéties de M. Michel Nostradamus |

Bibliothèque nationale de France

Prophète de cour

Le lyon ieune le vieux surmontera,
En champ bellique par singulier duelle,
Dans cage d'or les yeux luy crevera,
Deux classes une, puis mourir, mort cruelle.

Nostradamus, Prophéties, centurie 1, quatrain 35, 1555

Portrait d’Henri II
Portrait d’Henri II |

Bibliothèque nationale de France

Sa renommée l’appelle en 1556 à la cour de France. Elle connaît, à l’occasion du décès accidentel du roi Henri II, lors d’une joute le 10 juillet 1559, une extraordinaire amplification, la rumeur courant qu’il aurait prophétisé l’événement. Le poète Ronsard le compare alors à un oracle antique, parce qu’« il a dès mainte année / Predit la plus grand part de nostre destinée… »

Dans Les significations de l’Éclipse, qui sera le 16. Septembre 1559…, Nostradamus se met en scène en prophète panique : si Dieu n’intervient pas, « je présage grandes et diverses trahisons, perditions, déceptions, abusions, secrètes factions, et aussi que quelques grands secrets par Marciaux [gens de guerre] et Jovialistes [gens de justice] par entreprises, et par les factions et interrompements d’icelles seront découvertes et manifestées ». Une rébellion du commun populaire aura pour cible une reine. Des divisions, sectes, conspirations, factions, et conspirations seront suivies d’une cherté, et d’une grande famine, tandis que la peste courra d’une région à l’autre durant l’année 1560. Tout se passe comme si Nostradamus avait anticipé le déclenchement des troubles de religion.

Il semble se trouver dans un entre-deux quand s’ouvre le temps des conflits religieux : lui que des livrets de facture calviniste nomment péjorativement « Monstradamus » ou « monstre d’abus », est en mai 1560 menacé physiquement à Salon-de-Provence au cours d’une émeute catholique. Mais en novembre 1564, Charles IX et sa mère Catherine de Médicis viennent le consulter à Salon-de-Provence. C’est après avoir demandé à être enterré dans l’église du couvent de Saint-François, qu’il décède le 2 juillet 1566.

Tombe de Nostradamus
Tombe de Nostradamus |

Photo : Paul Hermans, wikimedia commons / CC BY-SA 4.0

La folie du devenir

Un prophète de la colère divine

Nostradamus se laisse lire comme le visionnaire d’un devenir angoissant, qui ne peut connaître de répit. Il est un prophète du « glaive de Dieu éternel » qui frappera bibliquement les hommes par la peste, la guerre et la famine, mais aussi par des mutations de règnes ou par l’apparition d’un étrange oiseau dont la venue s’accompagnera d’une terrible famine, si grande « que l’homme d’homme sera Anthropophage ».

La Revanche des paysans
Jacques Callot, La Revanche des paysans, Les Grandes Misères de la guerre, 1633 |

Bibliothèque nationale de France

Un mouvement perpétuel anime son écriture, en prophétisant les tremblements de terre, les tempêtes destructrices, les crues dévastatrices des fleuves, les maladies mortelles, les mers sanglantes, la mort, la « terre sèche », les grands vents, la « loyauté rompue », le « cruel acte », la discorde.

La futurologie de Nostradamus se dit fondée sur une lecture des astres annonçant que la colère de Dieu plane sur l’humanité parce que les hommes ne sauront dans les temps à venir que transgresser les commandements divins : cruauté inouïe, férocité barbare, oppression de la liberté, maisons et cités brûlées, effusions du sang des femmes et des enfants, guerres civiles, persécutions. La capitale de la Chrétienté, Rome, est appelée à subir une violence extrême : elle sera sous peu dévastée (« ta ruyne est proche… »

 Je pleure Nisse, Mannego, Pize, Gennes,
Savone, Sienne, Capue, Modene, Malte :
Le dessus sang et glaive par estrennes,
Feu, trembler terre, eau, malheureuse nolte

Nostradamus, Prophéties, 10:60, 1568

Les terribles conséquences de la folie humaine

Surtout la vie humaine n’est qu’injustices et malheurs, ignorant la vertu en la méprisant ou la bafouant. Elle n’est que folie présente et future, portée à son paroxysme.

Nostradamus énonce ainsi les données d’une anthropologie négative. Le mal est dans l’homme plus que jamais il n’a été : c’est le fils qui se dressera contre le père, le père qui fera massacrer son fils, le jeune neveu qui prendra l’initiative de tuer son vieil oncle, la jeune reine qui sera emprisonnée par son oncle. Fratricides, parricides, matricides, infanticides rythmeront le devenir. Les peuples se rebelleront contre les gouvernants, le tyran étranger ou barbare viendra abattre le prince pacifique  : conjurations, massacres, trahisons, supplices, crimes épouvantables se succèderont, la scène de l’effroi étant encore occupée par l’infidèle violeur de vierges ou l’hérétique profanateur, par les corps des innocents jonchant le sol ; et l’on verra le sang des gens d’Église couler « comme de l’eau en si grande abondance ».

La Pendaison
La Pendaison |

Bibliothèque nationale de France

Rien ne résistera dans les temps futurs à l’infinie prolifération du mal qui attend l’humanité : les lieux saints, les cimetières, les villes seront dévastés, et la paix sera toujours plus précaire. Les passions sont l’avenir de l’homme : luxure débridée, adultères et incestes, vengeances horribles, ingratitude démesurée, insatiable ambition, hypocrisie, cupidité, colère, haine, tromperie.

Chaque quatrain participe d’un grand cauchemar à venir mais qui résultera de ce que l’homme a en lui déjà dans le présent.

Un chrétien évangélique

Nostradamus raconte donc un monde humain devenant inexorablement un enfer terrestre. Il mime les avertissements effrayants des prophètes bibliques en annonçant les plus grandes calamités propres à affliger le peuple chrétien s’il s’abandonne à ses passions mortifères.

Il faut donc aller au-delà de ses mots mêmes pour comprendre pourquoi il s’investit totalement dans l’écriture d’un futur intensément malheureux, qu’il envisage comme allant toujours vers le pire. Il est un « évangélique », un chrétien refusant la division entre « papistes » et « huguenots », un homme vivant une spiritualité de l’« esprit du Christ » déposé en lui grâce à la connaissance des Évangiles. En ce sens, il se situe dans la continuité d’Erasme, qui voulait porter les chrétiens de son temps à être éclairé par « une flamme intérieure » allumée par la fréquentation de l’Écriture sainte.

Le Jugement dernier
Le Jugement dernier |

© 2014 GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Michel Urtado

Nostradamus est aussi un chrétien promoteur du refus de la violence à laquelle incitaient autour de 1560 aussi bien les pasteurs protestants que les prédicateurs catholiques, violence qui a fait basculer la France dans le temps d’atroces violences confessionnelles.

Les Cavaliers de l'Apocalypse
Les Cavaliers de l'Apocalypse |

Bibliothèque nationale de France

Il veut faire comprendre à ses lecteurs qu’ils doivent se tenir à distance de tous ceux qui, emportés par leur prétention à détenir la Vérité, sont prêts à persécuter ou tuer leurs prochains. Il recourt donc à la peur de l’imminence du Jugement dernier afin de signifier que la violence et la foi sont contradictoires. Ainsi la conjonction de Saturne et de Vénus, le 1er août 1565, aura surtout pour effet un schisme renouvelé en l'Église qui, se traduit par la ruine de nombreux temples et monastères, par des guerres et des mortalités effrayantes : « Parquoy un chacun pécheur doibt bien souspirer et pleurer… la confusion et abomination de ses iniquitez ». Contre la folie du monde qu’il dépeint, il existe un recours unique : la folie du Christ qui, pour sauver les hommes, s’est fait homme ; et donc l’aliénation en Dieu.

Pour Nostradamus, les exclusivismes religieux qui opposaient les catholiques et les protestants entraînaient la chrétienté dans une terrifiante impasse. Il cherche, en recourant à la puissance inquiétante de l’énigme prophétique, à montrer les dangers qui risquent de faire oublier aux hommes le message d’amour du Christ. Contre les interprétations de ses quatrains qui continuent à sévir aujourd’hui, il faut l’appréhender comme un médecin des âmes, investi dans un travail d’exorcisme de ce qui était pour lui, comme pour Erasme ou Rabelais, contraire à la volonté divine : la haine.

Pour aller plus loin

  • Denis Crouzet, Nostradamus. Une médecine des âmes à la Renaissance, Paris : éditions Payot, 2011 (À la BnF).
  • Hervé Drévillon et Pierre Lagrange, Nostradamus. L’éternel retour, Paris : Gallimard, 2003 (À la BnF).
  • Mireille Huchon, Nostradamus, Paris, Gallimard, 2021 (À la BnF).