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Jules Dumont d'Urville en Océanie

« Vue des cabanes de naturels à l'anse de l'Astrolabe »
« Vue des cabanes de naturels à l'anse de l'Astrolabe »

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

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La fin des guerres de l’Empire, après 1815, rouvre les mers à la vocation de Jules Dumont d’Urville de voyager autour du monde pour servir la science. Pendant vingt ans, neuf expéditions maritimes vont entretenir une permanence scientifique française dans le Pacifique Sud.

En ce début de 19e siècle, les officiers, médecins, pharmaciens et chirurgiens de marine se substituent aux savants des premiers voyages, avec lesquels ils s’étaient mal entendus. Déjà sensible à la fin du 18e siècle, parce que les naturalistes de Jean-François de Lapérouse se plaignaient des trop brèves escales d’un programme effréné, la dissension avait éclaté quand Nicolas Baudin, méfiant du nombre « beaucoup trop considérable » de ses 24 savants embarqués pour son très éprouvant voyage autour de l’Australie de 1800 à 1804, avait imposé une discipline militaire à de jeunes scientifiques volontaires mais indépendants d’esprit.

Portrait de Jules Dumont d'Urville
Portrait de Jules Dumont d'Urville |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Affecté en 1819 sur la Chevrette pour une campagne hydrographique en Méditerranée orientale et en mer Noire, le jeune aspirant Dumont d’Urville est chargé de l’histoire naturelle puisqu’il s’est initié à l’entomologie, et de l’archéologie parce qu’il parle grec. Au retour, les travaux méticuleux de cet officier de marine et son rôle dans l’acquisition de la Vénus de Milo fondent sa notoriété. Il est admis dans la Société linnéenne, qui publie son mémoire en latin sur la flore du littoral de la mer Noire en 1822. Il entre à la Société de géographie, juste fondée le 15 décembre 1821, la première au monde, et y côtoie François Arago, Georges Cuvier, Alexander von Humboldt et Étienne Geoffroy Saint-Hilaire. Au dépôt des cartes et plans de la Marine où il dépouille les levés de la Chevrette, il rencontre Louis Duperrey, qui fait le même travail pour l’Uranie, de retour d’un tour du monde.

Carte relative aux voyages de Dumont d'Urville en Océanie
Carte relative aux voyages de Dumont d'Urville en Océanie |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Les deux officiers font accepter par le ministre de la Marine le programme d’une nouvelle circumnavigation qui visitera les îles de la Société, les Tonga, les Nouvelles-Hébrides, et la Nouvelle-Guinée, dont les richesses naturelles sont fabuleuses. Pendant près de trois ans, Dumont d’Urville cumule les fonctions d’officier, en second de la Coquille, et son travail de naturaliste. Il rapporte en 1825 quelque 3 000 plantes, dont 400 jusque-là méconnues en Europe, et 1 100 espèces d’insectes. Cuvier fait son éloge devant l’Académie des sciences : « Lors de sa revue de la mer Noire […] il avait soigné les intérêts du Museum ; mais dans ce voyage il s’est vu à même de lui prouver encore mieux son zèle et son désintéressement. » L’Académie publie sa Flore des Malouines. Dumont d’Urville a déjà en tête un nouveau voyage : « L’expédition que je viens de partager sur la Coquille ne m’a que trop prouvé combien un voyage proprement dit autour du monde était inutile, ou au moins insuffisant pour rendre de véritables services à la géographie, à la navigation et aux sciences naturelles. »

La nouvelle campagne se concentrera sur la Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Guinée. La Coquille, rebaptisée Astrolabe, mouille le 10 janvier 1827 en Nouvelle-Zélande. Le commandant, le pharmacien Pierre-Adolphe Lesson, et les deux chirurgiens Jean René Quoy et Joseph Paul Gaimard se partagent l’histoire naturelle. Parce que les embarcations des Maoris sont des paramètres essentiels de leur migration, l’élève François-Edmond Pâris est chargé de les dessiner et d’en relever les techniques de construction. Pendant deux mois d’hydrographie, les découvertes naturalistes se multiplient : le kiwi est notamment aperçu pour la première fois par des Européens. Les relations avec les Maoris sont prudentes, mais admiratives ; d’Urville estime « ce peuple extraordinaire, tout anthropophage qu’il est, […] digne d’occuper une des premières places dans l’échelle des nations sauvages ». Leur séjour de trois mois en Nouvelle-Guinée révèle des merveilles, dont l’Ornithoptera Urvilla, un énorme papillon bleu-vert.

Revenant en Nouvelle-Zélande en 1828, Dumont d’Urville apprend lors d’une relâche à Hobart que le capitaine Peter Dillon a vu dans l’île de Tikopia une garde d’épée en argent et des objets de métal provenant de Vanikoro, une île voisine des Salomon. Il appareille aussitôt. L’Astrolabe y mouille le 21 février 1828, cinq mois après Dillon. L’enquête permet de recueillir que, selon la tradition orale de l’île, deux grands navires auraient fait naufrage par une nuit de tempête. Les explorateurs sont conduits vers une passe du récif : « Nous voyons à douze ou quinze pieds de profondeur des ancres, des canons, des boulets, des plaques de plomb empâtés dans le corail. » Quarante ans après, ils ont levé le voile sur la disparition de l’expédition Lapérouse.

Le village de Nama sur l'île de Vanikoro
Le village de Nama sur l'île de Vanikoro |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Moins de deux semaines après leur arrivée, l’équipage atteint de malaria est à bout de forces. Le 16 mars, la corvette s’échappe de Vanikoro. Au prix de 12 morts et 14 malades laissés à l’île Bourbon, le bilan du voyage est considérable. Cuvier souligne là encore une moisson de milliers de plantes et de spécimens de zoologie et d’entomologie. Mais les résultats de l’expédition dépassent de loin l’histoire naturelle. Dumont d’Urville s’est intéressé à l’ethnographie et, sur la base d’une combinaison de critères géographiques, ethniques et linguistiques, il propose à la Société de géographie une classification des Maoris en Océaniens, Polynésiens, Micronésiens et Mélanésiens.

Homme de l'île de Nuku Hiva
Homme de l'île de Nuku Hiva |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

La seconde expédition commandée par Dumont d’Urville lui est confiée par Louis-Philippe, avec mission d’atteindre « les parages voisins du pôle austral ». L’état-major de l’Astrolabe et de la Zélée, qui appareillent le 7 septembre 1837, est renforcé par Pierre Marie Dumoutier, anatomiste et prosélyte de la nouvelle phrénologie, embarqué comme préparateur d'anatomie et de phrénologie – il sera d’ailleurs promu chirurgien auxiliaire quand une dysenterie foudroyante décimera les équipages. Deux semaines sont consacrées à l’exploration de la Patagonie, puis les corvettes piquent vers la mer de Weddell. Fin janvier, ils aperçoivent une côte que Dumont d’Urville consacre à Louis-Philippe (« Louis-Philippe Plateau », à l’extrémité septentrionale de la péninsule antarctique). Forçant son passage dans les glaces, l’équipage atteint la latitude de 65°, mais les symptômes du scorbut apparaissent. Les corvettes font route vers le Chili pour reprendre des forces. Quittant avec plaisir l’Antarctique dépourvu d’insectes, Dumont d’Urville part hiverner en Océanie et en Insulinde. Il y reste un an et demi. Les équipages sont ravagés par ce long séjour tropical, le scorbut et la dysenterie. Dans les archipels océaniens, Dumoutier cherche à collecter des crânes, mais devant certaines difficultés à se les procurer, il entreprend des moulages sur des populations vivantes. Ces travaux et observations seront consignés dans l’Atlas anthropologique du Voyage. De retour à Hobart en décembre 1839, Dumont d’Urville complète sur place ses effectifs et met à la voile vers l’Antarctique. Par 65°20’ de latitude sud, ils aperçoivent le 20 janvier 1840 une côte enneigée. Le lendemain, deux embarcations débarquent sur un rocher une douzaine d’hommes des deux équipages. Ils déploient un drapeau tricolore. Dumont d’Urville la nomme « Terre Adélie », honorant son épouse Adèle. La France lui doit un pied-à-terre dans la copropriété antarctique, petit côté d’un triangle dont le sommet est le pôle Sud.

Une fois encore, la moisson de l’explorateur est reconnue comme exceptionnelle, au prix de 22 morts. Dumont d’Urville est promu contre-amiral, la Société de géographie lui décerne sa Grande médaille d’or, et l’élit président quand la publication du Voyage au Pôle Sud et dans l’Océanie l’appelle à Paris. Quatre mois plus tard, le dimanche 8 mai 1842, les d’Urville périssent dans le premier accident de chemin de fer, à l’entrée de Meudon.

Provenance

Ce contenu a été conçu en lien avec l'exposition Visages de l'exploration au XIXe siècle, du mythe à l'histoire présentée à la BnF du 10 mai au 21 août 2022.

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