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L’île Saint-Louis

Notre-Dame de Paris
L’île Saint-Louis
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[...] La semaine suivante, comme le soleil avait reparu et qu’il lui vantait la solitude des quais, autour de l’île Saint-Louis, elle consentit à une promenade. Ils remontèrent le quai de Bourbon et le quai d’Anjou, s’arrêtant à chaque pas, intéressés par la vie de la Seine, la dragueuse dont les seaux grinçaient, le bateau-lavoir secoué d’un bruit de querelles, une grue, là-bas, en train de décharger un chaland. Elle, surtout, s’étonnait : était-ce possible que ce quai des Ormes, si vivant en face, que ce quai Henri 4, avec sa berge immense, sa plage où des bandes d’enfants et de chiens se culbutaient sur des tas de sable, que tout cet horizon de ville peuplée et active fût l’horizon de cité maudite, aperçu dans un éclaboussement de sang, la nuit de son arrivée ? Ensuite, ils tournèrent la pointe, ralentissant encore leur marche, pour jouir du désert et du silence que de vieux hôtels semblent mettre là ; ils regardèrent l’eau bouillonner à travers la forêt des charpentes de l’Estacade, ils revinrent en suivant le quai de Béthune et le quai d’Orléans, rapprochés par l’élargissement du fleuve, se serrant l’un contre l’autre devant cette coulée énorme, les yeux au loin sur le Port-au-Vin et le Jardin des Plantes. Dans le ciel pâle, des dômes de monuments bleuissaient. Comme ils arrivaient au pont Saint-Louis, il dut lui nommer Notre-Dame qu’elle ne reconnaissait pas, vue ainsi du chevet, colossale et accroupie entre ses arcs-boutants, pareils à des pattes au repos, dominée par la double tête de ses tours, au-dessus de sa longue échine de monstre. Mais leur trouvaille ce jour-là, ce fut la pointe occidentale de l’île, cette proue de navire continuellement à l’ancre, qui, dans la fuite des deux courants, regarde Paris sans jamais l’atteindre. Ils descendirent un escalier très raide, ils découvrirent une berge solitaire, plantée de grands arbres : et c’était un refuge délicieux, un asile en pleine foule, Paris grondant alentour, sur les quais, sur les ponts pendant qu’ils goûtaient au bord de l’eau la joie d’être seuls, ignorés de tous. Dès lors, cette berge fut leur coin de campagne, le pays de plein air où ils profitaient des heures de soleil, quand la grosse chaleur de l’atelier, où le poêle rouge ronflait, les suffoquait et commençait à chauffer leurs mains d’une fièvre dont ils avaient peur.
L’œuvre, extrait du chapitre 4

Bibliothèque nationale de France

  • Auteur(es)
    Eugène Atget
  • Provenance

    BnF, Estampes et Photographie (Va 253 h)

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm1142003687