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Le texte de l’Apocalypse de Jean et ses interprétations

La Femme et le dragon
La Femme et le dragon

Bibliothèque nationale de France

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Par les nombreux symboles qu’elle véhicule, l’Apocalypse de Jean n’a cessé d’exciter l’imagination au cours des siècles : que représentent la femme qui apparaît dans le ciel « vêtue de soleil », la grande prostituée écarlate, Babylone la grande ou la bataille d’Harmaguedon ? Les interprétations sont multiples.

Le texte de l’Apocalypse de Jean

Heureux celui qui lit ce livre, heureux ceux qui écoutent ce message prophétique et gardent attentivement ce qui est écrit ici !

Apocalypse, 1:3

Vingt-deux chapitres emplis de symboles

Saint Jean, l’ange et les sept Églises
Saint Jean, l’ange et les sept Églises |

Bibliothèque nationale de France

Une première vision obtenue par Jean au cours d’un séjour à Patmos annonce une « Révélation de Jésus Messie » et son but, « montrer ce qui doit arriver bientôt » (chapitre 1). Suivent des messages distribuant éloges et blâmes aux assemblées de sept villes d’Asie Mineure (2-3).

Ensuite, Jean raconte une série de visions parfois interprétées par un ange : visions du trône divin et de la liturgie céleste, d’un Agneau semblant immolé et tenant un livre ouvert (4-5), de catastrophes à venir (6), de la foule des élus (7), de nouvelles catastrophes et d’animaux fantastiques et terrifiants (8-9).

Et j'entendis un aigle qui volait au zénith proclamer d'une voix forte : Malheur ! Malheur ! Malheur aux habitants de la terre, à cause des sonneries de trompettes des trois anges qui doivent encore sonner !

Apocalypse, 8:13

Puis un ange descend du ciel, tenant un petit livre que doit manger Jean (10), appelé ensuite à mesurer le temple de Dieu (11). Apparaissent ensuite une femme enceinte vêtue de soleil, pourchassée par un dragon à sept têtes (12), des bêtes issues de la mer et de la terre (13), l’Agneau se tenant debout sur la montagne de Sion (14), de nouveaux cataclysmes annonciateurs du combat du grand jour de Dieu, à Harmaguedon (15-16).

Ils les rassemblèrent au lieu qu'on appelle en hébreu Harmaguédon. [...]

Alors ce furent des éclairs, des voix et des tonnerres, et un tremblement de terre si violent qu'il n'en fut jamais de pareil depuis que l'homme est sur la terre.

La grande cité se brisa en trois parties et les cités des nations s'écroulèrent.

Apocalypse, 16:16-19

Ce sont ensuite une femme, la même ou une autre, prostituée cette fois, assise sur une bête qui la dévorera (17) ; puis la ruine d’une ville appelée symboliquement Babylone (18) et le triomphe de l’Agneau (19). Le dragon est alors enchaîné pour mille ans pendant lesquels règneront sur la terre l’Agneau et ses fidèles (20).

Babylone en ruines
Babylone en ruines |

Bibliothèque nationale de France

La Jérusalem céleste
La Jérusalem céleste |

Bibliothèque nationale de France

La vision suivante met encore une fois en scène une femme et une ville qui se confondent, à la fois la fiancée de l’Agneau et Jérusalem nouvelle, qui descend du ciel (21) suivie de sa description et d’un épilogue (22).

Un texte cohérent malgré des apparences décousues

Fol 3r : vision des sept chandeliers
Albrecht Dürer, Vision des sept chandeliers, 1511 |

Bibliothèque nationale de France

Ces visions se succèdent, introduites seulement par les formules « je vis » ou « j’entendis ». Nonobstant la succession de sept sceaux, de sept trompettes et de sept coupes qui introduit une certaine structure dans ce déferlement d’images, le texte pris dans son ensemble paraît manquer de cohérence littéraire et doctrinale

Le contenu de ces visions paraît tantôt chrétien, tantôt juif. Ainsi, une vision juxtapose 144,000 élus issus des douze tribus d’Israël et une foule immense de toutes nations, tribus, peuples et langues. La foi en « Jésus le Vivant » s’accompagne d’une exigence de pureté rituelle typique d’un certain judaïsme, dont témoignent en particulier certains écrits de la mer Morte. En outre, la violence de certaines images est peu compatible avec l’idée pacifique que l’on se fait habituellement des origines du christianisme. Cela a été interprété comme un manque de cohérence doctrinale.

On a longtemps attribué cette apparente incohérence à l’amalgame d’éléments juifs et chrétiens par un seul auteur ou des rédacteurs successifs, mais une meilleure connaissance des origines chrétiennes dans le contexte du judaïsme du 1er siècle a mené à l’abandon de ces hypothèses. Il est maintenant généralement admis que l’Apocalypse est un texte homogène et cohérent rédigé par un auteur juif fidèle du messie Jésus de Nazareth, un « juif chrétien ». Le texte a de profondes racines juives. Une série interreliée d’allusions aux Écritures juives (l’Ancien Testament des chrétiens) court sous la trame narrative et contribue à la cohérence du texte.

 Une œuvre orale et poétique

Le texte de l’Apocalypse renvoie doublement à l’oralité. D’abord, parce que les « apocalypses » étaient des expériences vécues par des fidèles qui recevaient et proféraient des révélations dans les assemblées ; ensuite, parce que Jean destinait son texte à être lu et entendu en public. D’où, notamment, ces procédés de répétitions, de retours caractéristiques de l’oralité.

Que faut-il en conclure, frères et sœurs ? Lorsque vous vous réunissez, l'un de vous peut chanter un cantique, un autre apporter un enseignement, un autre une révélation, un autre un message en langues inconnues et un autre encore l'interprétation de ce message : que tout cela soit constructif pour l'Église !

Première Épître aux Corinthiens, 14:26

Ni théologien ni enseignant, Jean est un poète. Il utilise le langage des Écritures pour créer des images et des sonorités, des atmosphères propres à émouvoir et les intègre dans un ensemble dont le foisonnement baroque suscite un sentiment de mouvement et d’imprévisibilité.

Ce mouvement arrache l’auditeur aux soucis de la vie quotidienne dans les cités d’Asie Mineure pour l’entraîner vers le combat final entre le Dragon et l’Agneau, puis vers l’avènement de la Jérusalem nouvelle et les noces de l’Agneau. La récurrence des septénaires – les sept messages aux assemblées, les sept sceaux, les sept trompettes et les sept coupes – crée des rythmes harmonieux et suscite une impression d’unité.

Les trompettes de l’Apocaypse
 
Jean Charlot, Les Trompettes de l'Apocalypse, 1946 |

© ADAGP, 2024

Chacun de ces septénaires est construit de manière rigoureuse. Ainsi, les sept messages aux assemblées sont disposés de façon symétrique : le message adressé à l’assemblée de Thyatire en occupe le centre, y plaçant la prophétesse Jézabel, cible du prophète Jean. De part et d’autre de ce centre, éloges et blâmes se répartissent selon une cadence marquée par la récurrence de la « congrégation de Satan » dans les messages adressés aux assemblées de Smyrne et de Philadelphie. De même, les trois septénaires des sceaux, des trompettes et des coupes sont disposés selon un rythme 6 + 1, un intervalle intervenant entre les six premiers éléments de chaque série et le septième, comme si, à chaque fois, le temps était suspendu.

Le défi de l’interprétation : des approches sans cesse renouvelées

Un texte intransigeant

L’Apocalypse de Jean est le dernier livre du Nouveau Testament et il clôt la Bible des chrétiens. Les croyants y lisent la parole de Dieu qu’ils interprètent de différentes façons selon leur confession. Comme tous les textes de ce genre, l’Apocalypse n’admet pas de nuance : on est du côté du Bien ou du Mal, avec Dieu ou avec Satan, et il n’y a pas d’entre-deux.

Certaines Églises chrétiennes, gênées par ce dualisme et la violence du texte, y font peu référence. Par exemple, l'Église catholique n'évoque guère l'Apocalypse dans sa liturgie ; seule la description de la femme enceinte vêtue de soleil apparaissant dans le ciel est lue lors de la fête de l’Assomption de la Vierge Marie le 15 août.

Pamphlet contre la papauté
Pamphlet contre la papauté |

Bibliothèque nationale de France

D’autres confessions y lisent avec enthousiasme la description de la victoire imminente du Bien sur le Mal. Selon les lieux et les temps, on interprète les figures du Mal, la prostituée, Babylone, le dragon, la bête et son chiffre de manière différente selon les réalités que l’on veut « démoniser » : l’Empire romain au temps des grandes persécutions, l’islam au moment des croisades, la papauté à l’époque des guerres de religion, de grandes figures de dictateurs, etc.  

Quatre approches interprétatives traditionnelles       .

La révélation contenue dans l’Apocalypse est donnée pour « annoncer ce qui doit arriver bientôt » (1:1). Il existe plusieurs approches pour comprendre cela.

  • Une première approche, historique ou prétériste consiste à interpréter l’Apocalypse en fonction du contexte historique et géographique où le texte a été composé. Elle réagirait à des événements du 1er siècle, annoncerait la chute de Rome ou de Jérusalem et le salut des fidèles de Jésus le Vivant. Un courant majoritaire de la recherche actuelle voit dans la prostituée une figure de la Rome impériale dont l’Apocalypse annoncerait la destruction ; un autre courant y voit plutôt une représentation de Jérusalem souillée par son commerce avec les nations, qui doit être détruite pour qu’advienne la nouvelle Jérusalem.  
  • Une deuxième approche, dite actualisante, ou encore historiciste (mais ne relevant en rien de la science historique) l’interprète comme annonçant des événements spécifiques à une époque donnée de l’histoire, généralement contemporaine de l’interprète même. Ainsi la Réforme protestante verra dans la prostituée une figure de la Rome papale corrompue qui doit être détruite.
  • Une troisième approche, dite futuriste ou eschatologique, voit dans l’Apocalypse une annonce d’événements à venir qui marqueront le retour du Christ et la fin des temps, parfois suivis d’un règne terrestre de mille ans : le millénarisme. C’est cette approche qui est privilégiée dans les mouvances fondamentalistes, par exemple dans le film Left Behind (2014) et les séries qui s’en inspirent.
  • Une quatrième approche enfin, dite parfois existentielle, ou encore spirituelle, consiste à en chercher le sens dans la vie de chaque chrétien et y voir un appel à la conversion intérieure.

Ces approches ne sont pas mutuellement exclusives et se confondent parfois, que ce soit dans la lecture croyante à l’intérieur de telle ou telle confession chrétienne, ou encore dans la culture ambiante.

Au regard des idéologies contemporaines

Les Bergères de l’Apocalypse
 
Les Bergères de l’Apocalypse
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© J.-C. Simoën

Aujourd’hui, différentes approches sont inspirées par des idéologies contemporaines. Dans une perspective post-coloniale, on mettra l’accent sur l’annonce de la destruction de Babylone et on lira l’Apocalypse comme un appel à résister à toute forme d’impérialisme et de colonialisme. L’analyse féministe, mettra l’accent sur le traitement des images féminines et y verra l’expression de la misogynie d’un christianisme patriarcal. En ces temps de réchauffement climatique et de catastrophes annoncées, l’approche écologiste y cherchera un message d’espoir.

Quoi qu’il en soi, en simplifiant à l’extrême, on peut dire que l’Apocalypse annonce la victoire de Dieu sur Satan ou du Bien sur le Mal et porte donc un message d’espérance, loin du catastrophisme qu’on lui prête parfois. Toutefois, en un temps de radicalisme exacerbé, son texte est souvent invoqué en raison de son dualisme sans nuances, par les extrémismes politiques ou religieux. Quoi qu’il en soit, le souffle puissant de ce texte jadis destiné à quelques fidèles du messie Jésus dans les cités d’Asie Mineure continue encore aujourd’hui de susciter des lectures innombrables, croyantes ou non, savantes ou populaires, qui interrogent les humains sur le sens du temps et de l’histoire.

Provenance

Cet article a été rédigé dans le cadre de l'exposition Apocalypse, hier et demain présentée à la BnF du 4 février au 8 juin 2025.

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