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Des sociétés soumises au risque

Face aux risques de désastres, revenir à une écologie du soin
Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki Moon lors de la COP 21 à Paris
Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki Moon lors de la COP 21 à Paris

© UN Climate Change, FlickR, CC BY 2.0

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Courons-nous tous vers l’Apocalypse ? En 2009, le Secrétaire général de l’ONU répondait oui, « avec le pied sur l’accélérateur ». Dérèglement climatique, catastrophes naturelles, pollution de l’eau, accidents industriels et pandémies font partie des inquiétudes quotidiennes. Mais comment nos sociétés abordent-elles la notion de risque ?

Qu’est-ce qu’un risque ?

Aléa et enjeu

Le risque est généralement défini comme une probabilité : celle qu’un évènement capable de causer des dommages se produise. Il est dit « majeur » lorsqu’il peut donner lieu à une catastrophe, soit parce que la force de l’évènement déclencheur est exceptionnelle, soit parce qu’il est susceptible d’avoir des impacts très importants.

Un risque met en relation deux facteurs :

  • un aléa (du latin alea « jeu de dés, hasard »), c’est-à-dire un événement ou un phénomène plus ou moins prévisible et dangereux dont la fréquence, l’intensité et l’étendue varient : de fortes pluies, un incendie, une éruption volcanique par exemple ;
  • un enjeu, c’est-à-dire « ce que l’on risque de perdre et auquel on accorde de l’importance » : des biens matériels (maisons, infrastructures) mais aussi immatériels (pratique touristique, réputation, santé, souveraineté nationale), ou encore des conditions naturelles. La résistance d’un enjeu dépend de nombreux facteurs : son exposition à l’aléa, sa solidité ou sa faiblesse propre, sa dépendance à d’autres enjeux, la préparation à subir un choc et l’existence d’un système d’alerte efficace et anticipé.

Vulnérabilité

Scénarios de réchauffement et fréquence des événements extrêmes selon le sixième rapport du GIEC
Scénarios de réchauffement et fréquence des événements extrêmes selon le sixième rapport du GIEC |

Données : GIEC ; graphiques : Jules*, Wikimedia commons / CC BY-SA 4.0

La vulnérabilité peut se définir comme l’ensemble des conditions préexistantes (physiques, historiques, culturelles, sociales, économiques, politiques, etc.) qui limitent la capacité d’un individu, d’un système ou d’une organisation à anticiper, résister voire s’adapter de manière adéquate à un danger.

Selon le sixième rapport du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC), publié en 2021, plus de 3,3 milliards de personnes dans le monde vivent dans des conditions très vulnérables au changement climatique.

Vulnérabilité humaine et vulnérabilité des écosystèmes dépendent intimement l’une de l’autre. Chaque dixième de degré de réchauffement supplémentaire met en danger davantage d’espèces et leurs milieux de vie. Mais la vulnérabilité est aussi sociale : elle accroît la difficulté d’un individu, d’un groupe humain, ou même d’un territoire à réduire les impacts d’une catastrophe. Étroitement liée à la précarité, à la marginalisation et à la pauvreté, elle diffère selon les territoires : les peuples autochtones d’Amazonie, les petits producteurs d’Afrique sub-saharienne, ou les populations migrantes du Moyen-Orient connaissent par exemple une vulnérabilité accrue.

Quels sont les risques aujourd’hui ?

Il existe de nombreuses manières de regrouper l’ensemble les risques majeurs par catégories. En faire une typologie exhaustive est difficile, mais il est possible d’en esquisser les contours.

Risques naturels, climatiques, environnementaux ?

Sous le terme générique de « naturels » sont rassemblés des risques très divers :

  • géophysiques (séismes, volcans)
  • gravitaires (liés aux pentes : éboulements, glissements de terrains, avalanches)
  • liés à l’eau (inondations, submersions marines, sécheresses)
  • climatiques (des tempêtes aux cyclones, ouragans ou typhons selon la vitesse des vents et leur localisation).
Éruption de l'Etna en 1669
Éruption de l'Etna en 1669 |

Bibliothèque nationale de France

Tremblement de terre de la Guadeloupe
Tremblement de terre de la Guadeloupe |

Bilbiothèque nationale de France

Le terme de « risques naturels » est aujourd’hui fortement critiqué, la science ayant montré que les humains sont souvent à l’origine de leur survenue. Par exemple, un incendie peut être dû à un mégot de cigarette mal éteinte ou au manque d’entretien des zones à risques.

Le « risque environnemental » désigne quant à lui soit une menace ou un danger potentiel ayant des causes naturelles et/ou lié aux « choses environnantes » (aménagements, industries), soit un danger pouvant causer des dommages sur la nature et l’environnement et ce qui en dépend, comme des pollutions industrielles ou des contaminations pétrolières, etc. Ces pollutions peuvent avoir des effets sur la santé et la sécurité des populations, les particules et éléments toxiques étant en effet parfois transportés sur de grandes distances.

Risques sanitaires liés à l’environnement

Remis sur le devant de la scène par la pandémie de covid-19, les risques sanitaires sont souvent liés à des facteurs environnementaux au sens large.

Pollution à New York
Eduardo Solá Franco, Pollution à New York, 1969
Les affaires sanitaires et les pandémies regroupent les infections respiratoires aiguës, les épidémies animales (épizooties) dont certaines peuvent se transmettre à l’homme (zoonoses) telles que la peste ou la rage, et les maladies dites « à vecteur » comme le paludisme ou la dengue, transmises par des tiques ou des moustiques.

Les risques toxiques sont quant à eux des risques « à bas bruit », souvent minorés, tels que la pollution atmosphérique. Dans le monde, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que 99% des personnes respirent un air qui ne correspond pas aux normes de qualité minimales. En 2022, des chercheurs ont estimé que la mortalité liée aux pollutions s’élevait à 9 millions de personnes par an dans le monde, dont 6,5 millions pour la seule pollution de l’air. La grande majorité d’entre elles habitent des pays à revenus faibles ou intermédiaires où cette question n’est pas une priorité.

Risques géopolitiques

Attentats du 11 septembre 2001
Attentats du 11 septembre 2001 |

Photographie : rds 323, flickR / Domaine public

Le risque géopolitique est lié à l’existence de tensions entre les différents acteurs du jeu politique international : les États, mais aussi les grandes entreprises privées et les sociétés civiles. Ces tensions peuvent dégénérer en conflits ouverts, en actes terroristes ou entraîner une perte de souveraineté. Leurs ressorts sont pluriels et complexes : asservissement des populations par des régimes autoritaires, rivalités pour l’accès à des ressources stratégiques, intérêts économiques, propagation d’idéologies radicales violentes, etc.

Les attaques à grande échelle contre les systèmes informatiques (cyberterrorisme) constituent aussi des menaces graves dans la mesure où elles sont source de déstabilisation, en coupant par exemple les moyens de communication permettant de coordonner des actions militaires.

Risques industriels : le nucléaire en première place

Le plus souvent, les risques géopolitiques sont aggravés par l’existence d’armes de destruction massive (nucléaires ou biochimiques) et d’infrastructures hypercritiques, comme les installations nucléaires, qui peuvent faire l’objet d’actes malveillants ou d’accidents. Par exemple un défaut d’alimentation électrique peut mettre en risques le refroidissement du combustible nucléaire des réacteurs d’une centrale.

Hiroshima, c’est l’apocalypse préfigurée, sa possibilité prouvée et la Bombe définitivement posée en majesté.

Claude Le Borgne, « La Bête », Magazine littéraire, 1986

Le risque nucléaire pour le vivant est lié soit aux irradiations des organismes en raison de leur exposition directe aux rayonnements des matières radioactives, soit à la contamination chimique par des particules radioactives entrant en contact avec les corps par voie respiratoire, dermique ou digestive. L'environnement peut également être contaminé pendant plusieurs centaines d'années.

Quelles sont les réponses possibles ?

Le risque peut rarement être évité. Mesuré, étudié, il peut cependant être minimisé. Si vigilance et alerte sont importants à court terme, il est aussi nécessaire d’envisager les réponses à plus long terme.

Prévenir

Prévenir les dangers nécessite avant tout de les connaître et de les surveiller pour en tracer l’évolution. C’est le rôle des relevés de terrain, des expertises techniques ou encore des capteurs permettant de mesurer les mouvements de terrains par exemple.

Carte du tremblement de terre de la province de Shinano en 1847
Carte du tremblement de terre de la province de Shinano en 1847 |

Bibliothèque nationale de France

Interférogramme du tremblement de terre du désert Mohave en 1992.
Interférogramme du tremblement de terre du désert Mohave en 1992. |

© Agence Spatiale Européenne

Cette connaissance invite à mettre en place des dispositifs de prévention pour améliorer le niveau de sécurité, notamment en informant les populations. Toutefois être informé ne suffit pas pour changer : beaucoup de personnes ou d'organisations, même si elles sont informées, ne se sentent pas concernées. Ainsi la « culture du risque » ne se réduit pas à de « bons comportements », mais se construit plutôt à long terme, comme un capital pratique composé d’expériences, de représentations, de stratégies d’action, de savoirs, savoir-être et savoir-faire. Tournée vers la protection prioritaire de certains enjeux, elle s’accumule au cours du temps et se transmet, dans une certaine mesure, aux générations suivantes.

À l’échelle collective, l'information en cas de danger imminent est généralement organisée par niveaux de risques potentiels. Par exemple, en France, pour le risque météorologique ou d’inondation ce sont des niveaux de vigilance allant du vert (situation normale) au rouge (dommages majeurs attendus) voire au violet en cas d’alerte cyclonique. Des échelles comparables sont utilisées pour la pollution atmosphérique ou le risque de sécurité lié aux attentats.

Atténuer et s’adapter

Appel à la vaccination antivariolique
Appel à la vaccination antivariolique |

Archives municipales de Roubaix, domaine public

Différentes stratégies peuvent être mises en place pour réduire les dommages potentiels. Différant d’un risque à l’autre, elles visent à intervenir pour réduire la force de l’évènement déclencheur (pare-avalanches, digues, etc.), à diminuer l’exposition des enjeux (zones inconstructibles, enterrement de canalisations de transport de matières dangereuses, etc.) et à réduire la vulnérabilité (normes de construction antisismiques, aide au développement, etc.). 

Concernant le changement climatique, on parle plutôt d’adaptation. Le but est de réduire la vulnérabilité des systèmes naturels et humains aux effets attendus du changement climatique. À ne pas confondre avec l’atténuation qui consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre afin d’éviter que la planète ne se réchauffe au-delà de 1,5 degrés par rapport à l’ère préindustrielle (nous sommes à environ 1 degré en 2024). Cela doit permettre de limiter les impacts sur les écosystèmes et les services qu’ils rendent, notamment aux humains. Les données scientifiques, synthétisées par le GIEC, montrent que l’adaptation est une nécessité. Mais elle dépend des engagements et mesures politiques prises aux échelles nationales et internationales. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de se préparer aux impacts attendus en améliorant l’accès à certaines ressources, ou en créant des infrastructures qui limitent l’intensité des aléas, mais bien de changer en profondeur nos modes de vie, de travail, de production. On parle « d’adaptation transformationnelle ».

Du déni au « vivre avec »

La représentation qu’on se fait d’un risque dépend des informations dont on dispose, de la connaissance des territoires où l’on se trouve et de l’expérience que l’on en a mais aussi de l’ensemble des autres risques auxquels on doit faire face. Elle constitue un imaginaire d’un d’un futur potentiellement dangereux, avec lequel il faut apprendre à vivre.

Systèmes de mesure des radiations à Fukushima
Systèmes de mesure des radiations à Fukushima |

Photographies : Tamaki Sono, FlickR / CC BY 2.0 ; Abasaa, Wikimedia commons / domaine public

Face aux risques, les décisions des gestionnaires de crise et les comportements des populations ne sont pas homogènes : certains choisissent parfois de minimiser le danger voire de le nier, en vertu de logiques économiques, sociales, politiques, écologiques, religieuses, etc. Par exemple le fait d’avoir vécu une inondation ou une pollution environnementale peut conduire à différents choix : déménager, migrer, ou au contraire continuer à vivre au même endroit par attachement ou simplement par manque de moyens.

Vivre avec le risque est aussi une question culturelle. Certaines visions du monde invitent à s’en remettre à un tout plus grand (l’Univers, Dieu, le destin). Parfois, ce sont des logiques identitaires qui entrent en compte : par exemple partir vivre en ville quand on est exposé aux contaminations pétrolières en Amazonie représente une perte potentiellement plus grande que le risque de contracter une maladie, parce qu’on est avant tout agriculteur et que la terre est à la fois alimentation, identité et raison de vivre.

Procession de la peste à Tournai en 1928
Procession de la peste à Tournai en 1928 |

Bibliothèque nationale de France

Ainsi, si les risques majeurs sont omniprésents et si certains s’aggravent avec le réchauffement planétaire, la manière d’y répondre est très variable et révèle les logiques et les valeurs qui nous animent, individuellement et collectivement.

Face aux risques majeurs et aux catastrophes, la responsabilité, la justice, l’inclusion et la solidarité sont appelés à grands cris. Mais, c’est peut-être d’abord une écologie du soin qui devrait fonder les systèmes de protection. Prendre soin de quoi ? Comment ? De soi, des autres, de son environnement plus ou moins proche, de sa planète, tout à la fois. Voilà une valeur de base pour penser avec sagesse la réponse aux risques majeurs et éloigner autant que possible la perspective apocalyptique annoncée.

Provenance

Cet article a été rédigé dans le cadre de l'exposition Apocalypse, hier et demain présentée à la BnF du 4 février au 8 juin 2025.

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